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La migration, une chance

1 décembre 2011

D'après Klaus Bade, fondateur de l'Institut de recherche sur la migration de l'université d'Osnabrück, la politique économique inéquitable menée par l'UE renforce les mouvements de migration.

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Klaus BadeImage : privat

Deutsche Welle : Contrôles renforcés aux frontières, centres d'accueil surpeuplés, règlement Dublin II : est-ce que, selon vous, l'Europe a la bonne attitude envers les réfugiés venus d'Afrique et d'autres régions du monde ?

Klaus Bade : De plus en plus de gens dans le monde sont victimes de guerres, de crises politiques, de changements environnementaux ou encore de la pauvreté due à une forte croissance de la population. Les mouvements migratoires ne concernent pas uniquement des réfugiés économiques ou des gens qui fuient la pauvreté. On trouve les cas de figure les plus divers avec des raisons de partir tout aussi diverses. Mais la plupart de ces mouvements ont lieu encore aujourd'hui au sein d'une même région, voire d'un même pays, ce que l'on appelle les réfugiés internes. Les remparts dont s'est entourée la "forteresse Europe" poussent les réfugiés à emprunter des voies de plus en plus dangereuses. Les chemins qui mènent clandestinement à l'Europe coûtent non seulement beaucoup d'argent (à cause du prix à payer pour les services du passeur) mais ils sont également risqués, voire mortels.

La politique des réfugiés, qui était du ressort des gouvernements, a été transférée au niveau européen. Les pays se sont déchargés de la tâche ingrate de la protection des frontières sur des Etats tiers par le biais d'accords européens ou bilatéraux. La sécurisation des frontières extérieures de l'UE s'est souvent faite au prix de coopérations avec des régimes qui bafouent ouvertement les droits de l'Homme.

Même si la tendance est de responsabiliser les pays d'origine des migrants, il faut pouvoir garantir la mission humanitaire qui consiste à protéger les personnes menacées et poursuivies. Ceci ne peut pas se faire à bord de la flotte européenne qui patrouille au large des côtes. Cette mission doit être accomplie soit en Europe, soit en dehors de l'Europe, sous le contrôle des institutions du Haut-Commissariat de l'ONU aux réfugiés.

D.W. : A votre avis, comment l'Europe devrait-elle traiter les nombreux migrants illégaux qui vivent déjà ici ?

Les interdictions et les catalogues de sanctions peuvent freiner la migration clandestine et les activités qui en découlent, mais ils ne pourront pas y mettre un terme. Car la clandestinité est un phénomène structurel lié à l'image d'Etats-providence qu'ont les Etats européens. C'est aussi l'expression d'un déficit intrinsèque et insurmontable du contrôle de l'immigration.

D'après nous, il faut cesser d'inciter les employeurs à donner du travail à des étrangers en situation irrégulière. Les charges à payer pour des employés non qualifiés et peu rémunérés doivent être les plus faibles possibles. Ceux qui vivent en situation irrégulière ne doivent pas, par peur d'être découverts ou renvoyés dans leur pays, renoncer à leurs droits, comme le droit à l'intégrité physique ou celui d'un salaire pour un travail accompli.

D.W. : L'Europe porte-t-elle une part de responsabilité dans l'immigration de personnes venues de régions comme l'Afrique, à cause par exemple de sa politique économique inéquitable ?

Les Etats membres de l'UE obligent les gens à migrer en détruisant les moyens de subsistance économique des pays d'origine. Il existe des barrières européennes à l'importation de différents produits africains. Ces barrières, que les Européens justifient de manières les plus diverses, entravent le développement du marché transfrontalier en Afrique. Mais il y a aussi des importations européennes qui entravent voire qui ruinent la production africaine. Ainsi, les accords de pêche détruisent la pêche sur les côtes africaines. Les importations de viande ruinent des pans entiers de la production de viande en Afrique. Des produits à base de viande invendables en Europe sont exportés vers l'Afrique et revendus moins de la moitié de la somme initiale. Ils sont donc parfois même moins chers que les prix locaux.

D.W. : Au cours des dernières décennies, les pays les plus pauvres ont perdu une part importante de leurs universitaires qui ont émigré vers les pays industrialisés. Est-ce que la migration vers l'Europe détruit aussi le potentiel de développement dans ces pays ?

La migration détruit le potentiel de développement d'un pays quand elle a pour conséquence la fuite des cerveaux. On peut observer ce phénomène dans de nombreux secteurs, notamment celui de la médecine. La politique de développement, qui a de plus en plus besoin d'être légitimée, a ainsi adopté des instruments de politique migratoire. Les optimistes espèrent que l'enchevêtrement de ces deux domaines, en particulier dans les programmes de migration circulaire, aboutisse à un meilleur contrôle des flux migratoires et à une amélioration de la situation dans les pays d'origine. Les pessimistes, eux, redoutent que les expériences des travailleurs immigrés ne se reproduisent.

Afin que les migrants circulaires retournent dans leur pays et s'investissent dans son développement économique, des conditions cadres doivent être mises en place, telles que la sécurité juridique, une administration aussi peu corrompue que possible et des conditions propices au développement économique.

D.W. : A quoi pourrait ressembler selon vous une politique de migration européenne tournée vers l'avenir ?

Au lieu de vouloir à tout prix isoler les migrants venus du Nord de l'Afrique, l'Europe devrait mettre en place un plan Marshall pour cette région, qui inclurait les possibilités de migration légale vers l'Europe pour une durée déterminée, et qui soulignerait ainsi les opportunités et non les risques que représente la migration. Plus généralement, l'Europe, qui est démographiquement sous pression, doit considérer l'immigration non pas seulement comme une menace mais aussi comme une aide extérieure, comme une chance à saisir.

Klaus Bade est le fondateur de l'Institut de recherche sur la migration et les études interculturelles de l'université d'Osnabrück. Il est aussi président du Conseil consultatif des fondations allemandes pour l'intégration et la migration (SVR).

Interview : Jan-Philipp Scholz
Traduction : Audrey Parmentier