1. Aller au contenu
  2. Aller au menu principal
  3. Voir les autres sites DW

Mandela, héros universel

Anne Le Touzé13 décembre 2013

Les hommages à Nelson Mandela dominent les colonnes des journaux allemands de la semaine. La presse s'intéresse en outre à la situation en Centrafrique et à l'intervention des troupes françaises dans ce pays.

https://p.dw.com/p/1AYlh
Image : Reuters

Les quotidiens allemands retracent bien sûr tous la vie exceptionnelle de l'icône de la lutte anti-apartheid et témoignent de son importance au-delà de l'Afrique du Sud. « Un exemple pour le monde », titre ainsi la Frankfurter Allgemeine Zeitung. La volonté de liberté de Nelson Mandela a inspiré des millions et des millions de gens dans le monde ; il a redonné espoir à de nombreux opprimés. En sa présence, les chefs d'État des grands pays paraissaient bien petits. Pour le quotidien, le monde a perdu un grand homme. Peut-être le plus grand de notre temps, plein de bonté humaine, de générosité politique et de clairvoyance.

L'humanité est pleine de canailles et de méchants, écrit la Süddeutsche Zeitung. Mais parfois l'histoire a pitié et envoie un Mahatma Gandhi en Inde, ou un Nelson Mandela en Afrique du Sud. Un homme qui a réussi l'exploit quasi-surhumain, après 27 ans de prison, de choisir la voie de la réconciliation plutôt que la rancœur et la vengeance. La haine produite par les racistes blancs au sein de la population noire majoritaire aurait pu entraîner un bain de sang, une tyrannie communiste ou une apartheid inversée. Mais grâce à Mandela, l'Afrique du Sud est devenue une démocratie avec tout ce que cela implique : des élections régulières, une presse libre et une justice en état de marche. C'est là l'œuvre d'un grand homme, que l'on ne doit pas pour autant relever au statut de saint. Mandela lui-même a toujours eu cette vision en horreur.

Des files d'attente interminables devant le bâtiment de la présidence à Pretoria pour dire adieu à Madiba
Des files d'attente interminables devant le bâtiment de la présidence à Pretoria pour dire adieu à MadibaImage : Reuters

Une reconnaissance tardive

Die tageszeitung rappelle que Nelson Mandela n'est devenu un personnage rayonnant et incontesté que dans les dernières années de sa longue vie. Au temps de ses activités politiques, il comptait beaucoup d'ennemis qui, aujourd'hui, le vénèrent. Amnesty International, par exemple, ne s'est pas engagé en sa faveur au moment de son emprisonnement car il n'avait pas renoncé à la violence. Et jusqu'à il y a quelques années, Mandela figurait encore sur une liste de terrorisme américaine… Après ce rappel historique, le journal souligne que jamais encore, le monde n'avait pleuré un Africain de façon aussi unanime. Nelson Mandela est un héros de la liberté, non seulement pour l'Afrique du Sud mais pour tout le continent. Il représente une Afrique de dignité, de liberté et de réconciliation. Pour un demi-milliard d'Africains nés après la fin de l'apartheid, il n'y a pas de meilleur modèle. L'Afrique, résume le quotidien, est unie avec le monde dans le deuil, mais aussi dans la fierté.

Une pluie torrentielle pour la cérémonie de mardi au stade de Soweto, mais les Sud-Africains sont au rendez-vous
Une pluie torrentielle pour la cérémonie de mardi au stade de Soweto, mais les Sud-Africains sont au rendez-vousImage : Reuters

Hommage planétaire à Soweto

L'Afrique unie avec le monde, c'était notamment mardi dernier au stade Soccer City de Soweto pour la cérémonie d'hommage à Nelson Mandela. Un événement auquel ont assisté quelque 60.000 personnes, dont 91 chefs d'État, et qui a été bien sûr aussi largement relayé dans la presse allemande.

Ce sont surtout des visages souriants et reconnaissants qui s'affichent en Une des journaux. « L'Afrique du Sud célèbre son héros » titre Die Welt, évoquant les chants et les danses, mais aussi l'émotion qui a marqué cette journée. Le stade de Johannesburg n'était certes rempli qu'aux deux tiers en raison d'une pluie torrentielle, mais c'est une véritable fête que l'Afrique du Sud a offerte à son héros national.

Une poignée de main remarquée en marge de la cérémonie, celle des présidents américain et cubain, Barack Obama et Raúl Castro
Une poignée de main remarquée en marge de la cérémonie, celle des présidents américain et cubain, Barack Obama et Raúl CastroImage : Reuters

Ils sont venus de partout pour rendre un dernier hommage à « Tata Madiba », raconte le reporter de la Süddeutsche. Ils se protègent de la pluie avec des bonnets de douche et des sacs poubelle dans lesquels ils ont percé des trous pour les bras. Certains portent aussi les casques barriolés des supporters de la Coupe du Monde de football de 2010, et surtout, les fameuses vuvuzelas au son assourdissant. Ils sont détendus, joyeux et ont envie de chanter. On a parfois moins l'impression d'être à une cérémonie de deuil qu'à un match de foot, témoigne le journaliste.

La Frankfurter Allgemeine dresse l'inventaire des personnalités présentes : le président américain Barack Obama et trois de ses prédécesseurs, le président allemand Joachim Gauck ou encore son homologue français, François Hollande. Selon le protocole sud-africain, il y aurait même eu, à côté du Zimbabwéen Robert Mugabe, le président soudanais Omar el-Béchir, pourtant sous le coup d'un mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale. Le journal évoque aussi les huées dont le président sud-africain Jacob Zuma a fait l'objet, un sujet d'ailleurs en Une de toute la presse sud-africaine mercredi matin.

Quel avenir pour l'Afrique du Sud ?

La nouvelle tragique de la disparition de Mandela n'a pas plongé le pays dans le chaos, constate die tageszeitung. Avec la semaine de deuil national, l'Afrique du Sud a au total dix jours de répit et peut oublier les problèmes du quotidien : une économie entravée par les grèves, une insatisfaction grandissante envers la politique du parti au pouvoir ANC, des scandales de corruption omniprésents. Un autre problème menace l'Afrique du Sud, selon la taz. C'est la xénophobie croissante envers les immigrés africains. Le journal déplore le peu d'engagement politique pour lutter contre cette haine de l'étranger. La nation arc-en-ciel unie, pour laquelle Mandela était prêt à mourir, a encore de nombreuses faiblesses, estime le quotidien.

Jacob Zuma hué par le public, signe de son impopularité
Jacob Zuma hué par le public, signe de son impopularitéImage : Reuters

Nelson Mandela a lui-même souvent souligné les faiblesses de son pays, écrit Die Welt. Jusqu'au bout, il s'est battu avec ses fondations contre la pauvreté omniprésente, le chômage des jeunes, le fossé qui se creuse entre pauvres et riches quelle que soit leur couleur de peau. Ces problèmes menaçaient déjà l'Afrique du Sud du temps de Mandela. Selon Die Welt, c'est la façon dont ils seront réglés qui déterminera l'avenir du pays.

La violence à son apogée en RCA

Un autre sujet traité dans les journaux allemands cette semaine, c'est la situation en République centrafricaine et l'intervention des troupes françaises dans ce pays. Intervention sous mandat des Nations unies puisque le Conseil de Sécurité a voté une résolution le 5 décembre pour autoriser l'armée française à épauler la Misca, la Mission internationale de Soutien à la Centrafrique...

Les soldats français arrêtent des miliciens et confisquent les armes
Les soldats français arrêtent des miliciens et confisquent les armesImage : picture-alliance/AP

À peine la résolution avait-elle été votée à New York que le président français a annoncé devant les caméras l'envoi de renforts en RCA, relève le quotidien Neues Deutschland. Et il était grand temps, car au cours des heures qui ont précédé, les affrontements entre milices chrétiennes et ex-rebelles musulmans ont connu une nouvelle apogée sanglante. D'un côté, les Séléka qui ont imposé par la force le premier président musulman, Michel Djotodia, en mars dernier. De l'autre, des partisans du président renversé François Bozizé qui représentait la majorité chrétienne. Les victimes de ces affrontements, déplore Neues Deutschland, sont des civils des deux confessions qui vivaient jadis en paix et qui sont désormais montés les uns contre les autres et sacrifiés de manière cynique.

Pour die tageszeitung ce n'est pas un hasard si la République centrafricaine s'enfonce dans une guerre de religion sanglante. Les milices chrétiennes « Anti-Balaka » attaquent délibérément des musulmans. En réaction, les partisans de la ligne dure chez les Séléka se sont radicalisés. Et cela conduit à des débordements de violence même dans les endroits où la religion n'avait jusqu'ici joué aucun rôle, comme à Bangui.

C'est la deuxième fois en peu de temps que la France prend en charge une intervention dangereuse mais nécessaire, remarque pour sa part la Süddeutsche Zeitung. D'abord, les Français ont empêché que le Mali ne soit pris par des islamistes. Maintenant, ils empêchent la Centrafrique de connaître le même destin que le Rwanda en son temps. Le gouvernement français a donc raison, selon le journal, d'exiger de ne pas porter seul les coûts de l'opération, en plus du risque pour ses soldats. L'aide d'urgence à l'Afrique est dans l'intérêt des Européens. L'Union européenne tout entière doit donc participer au financement de l'opération française.

La Centrafrique s'est invitée dans le sommet de l'Élysée sur la Paix et la Sécurité en Afrique
La Centrafrique s'est invitée dans le sommet de l'Élysée sur la Paix et la Sécurité en AfriqueImage : Reuters

La RCA au sommet de Paris

Hasard du calendrier, le début de l'opération de la France en Centrafrique a coïncidé avec la tenue à Paris du sommet Afrique-France, un sommet auquel participaient une quarantaine de chefs d'État et de gouvernement africains autour du président François Hollande.

À cette occasion, la France a laissé transparaître ses ambitions politiques pour la RCA, constate die tageszeitung. « On ne peut pas maintenir en fonctions un président qui n'a rien fait ou qui a même laissé les choses se passer » a déclaré François Hollande à propos du président centrafricain Michel Djotodia. Et la taz de noter : un changement de régime n'est pas inclus dans le mandat onusien selon lequel la France agit en Centrafrique. Mais historiquement, c'est toujours Paris qui décide de celui qui gouverne à Bangui.