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Le Mali, entre intervention et prudence

Marie-Ange Pioerron18 janvier 2013

Le Mali éclipse le reste de l'actualité africaine dans la presse allemande. L'intervention française contre les islamistes suscite beaucoup de réactions, la presse étant aussi divisée que la classe politique allemande.

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Troupes françaises en route pour Ségou, 16 janvier 2013Image : Reuters

Il arrive même que des opinions contraires s'expriment dans le même journal. Lundi 7 janvier, sous la plume de son directeur du desk Afrique, die tageszeitung condamnait l'intervention française en écrivant ceci: La France considère qu'elle peut faire ce qu'elle veut en Afrique sans aucune concertation. La France qui pourtant prône haut et fort une Europe unie fait une fois de plus cavalier seul, on aurait pu penser qu'un gouvernement de gauche mènerait une autre politique en Afrique. Deux jours plus tard le correspondant du journal à Paris répondait par ce commentaire: il est trop facile de reprocher à la France une attitude néocolonialiste. Evidemment, elle a des intérêts dans cette région, notamment pour l'uranium qui alimente ses centrales nucléaires. Mais ce qui se passe au Mali n'a rien d'une intervention planifiée de longue date pour maintenir au pouvoir un régime répugnant, comme c'est arrivé dans le passé. Et puis jeudi 17 janvier, un pour et un contre s'expriment côte à côte sur la même page. Pour Katrin Gänsler, la correspondante de die Tageszeitung en Afrique de l'ouest, il était grand temps que quelqu'un intervienne militairement au Mali. Il était clair dès la mi-2012 que cette option était la seule voie de sortie de crise. En revanche Andreas Zumach, correspondant de la TAZ à Genève souligne que ce sont toujours les mêmes objectifs qui ont été mis en avant pour justifier les interventions militaires depuis la fin de la guerre froide: à savoir "combattre les terroristes et les rebelles islamistes », « empêcher la sécession, faire obstacle à la criminalité organisée". En Tchétchénie, en Afghanistan, en Somalie, en Irak ou ailleurs jamais ces objectifs n'ont été atteints.

Transall der Luftwaffe Bundeswehr Start nach Mali
Transall de la BundeswehrImage : picture-alliance/dpa

Une solidarité sans risque

Le comportement des autorités allemandes face à l'intervention au Mali suscite aussi de nombreuses réactions, et elles sont plutôt critiques. Pour l'hebdomadaire Die Zeit par exemple, le Mali n'est ni une obsession néocoloniale de la France, ni un pays que l'on peut ranger dans la rubrique "guerres africaines, crises, catastrophes". Il fait partie d'une région dans laquelle les acquis démocratiques des dernières années ont été sérieusement mis à l'épreuve par la corruption, le chômage et la montée des conflits religieux. La stabilisation de cette région, ou à l'inverse l'apparition de zones ingouvernables, est pour l'Europe un problème central. Il serait donc opportun, poursuit le journal, qu'une nation dirigeante comme l'Allemagne n'en reste pas à un réflexe bien connu, à savoir "surtout pas de troupes ce combat". Solidarité sans risque, titre de son côté la Süddeutsche Zeitung. Dans notre pays, écrit le journal, il est jugé déloyal de mesurer la disposition de l'Allemagne à s'engager militairement à l'aune de celle de la France et de la Grande-Bretagne. Et c'est vrai, l'Allemagne a une autre histoire. Mais cela ne règle pas la question pour autant. Que les Allemands comptent une fois de plus sur la réussite des Français réveille le souvenir de leur abstention à propos de la Libye. Globalement l'impression prévaut que l'Allemagne est peut être une grosse pointure en matière de sécurité internationale, mais qu'elle n'est pas fiable. Mettre deux avions de transport Transall à la disposition de l'intervention au Mali, c'est un peu faible, estime la Frankfurter Allgemeine Zeitung. La réticence de l'Allemagne s'inscrit dans un cadre plus large: les Européens ne sont pas à la hauteur des événements, les Américains fournissent tout au plus une aide discrète et ne se poussent pas à l'avant-plan. De toute évidence la mission en Afghanistan est encore très présente dans les esprits. La longue guerre contre le terrorisme a été sanglante, coûteuse, et sans résultat tangible, d'ailleurs elle l'est toujours. L'expérience est dégrisante. Et pourtant souligne le journal, nous n'avons pas le droit d'abandonner la France.

Mali Nationalgarde Airbase in Bamako 16. Januar 2013
Garde nationale malienneImage : ISSOUF SANOGO/AFP/Getty Images

Echec américain au Mali

Si les Américains, dans cette intervention au Mali, ne se découvrent pas trop selon la Frankfurter Allgemeine Zeitung, c'est peut-être aussi parce qu'ils ont échoué au Mali estime le même journal. Dans un autre article la FAZ évoque l'échec de l'Amérique au Mali. En 2002, rappelle le journal, pour lutter précisément contre le terrorisme dans le Sahel, les Etats-Unis ont misé sur la formation d'armées locales. Dix pays, dont le Mali, ont été regroupés au sein de "L'initiative transsaharienne contre le terrorisme". Le programme était étalé sur cinq ans et généreusement doté d'un budget de 500 millions de dollars. Ce faisant l'armée malienne est devenue une sorte de partenaire modèle, largement complimenté par les Américains. Au fil des ans les forces spéciales américaines ont formé au Mali quatre unités, totalisant 600 soldats, à la défense contre des adversaires extrêmement mobiles. Le programme d'entraînement, qui s'est déroulé principalement à Gao et à Tombouctou, était l'un des plus ambitieux menés par les Américains dans la région. Lorsqu'en janvier de l'année passée d'innombrables Touaregs ayant servi dans l'armée du dictateur libyen Kadhafi ont lancé leur guerre pour un "Azawad libre", le commandement de l'armée malienne avait bon espoir de mâter rapidement la rébellion avec l'aide de ses forces spéciales. Or trois des quatre unités d'élite sont passées avec armes, véhicules et munitions dans le camp rebelle. Leurs commandants étaient touareg et pouvaient s'identifier à l'idée d'un Azawad indépendant. Qui plus est, note plus loin le journal, c'est un capitaine formé aux Etats-Unis, Amadou Sanogo, qui a mené le putsch contre le président Amadou Toumani Touré et a permis du même coup aux rebelles de réaliser leurs plus grands gains de territoire.

Mali militante Bewegung MUJWA
Miliciens du MUJAO à Gao, septembre 2013Image : Reuters

Des islamistes isolés

Enfin un quotidien allemand, le Tagesspiegel de Berlin, publie dans sa rubrique "Culture" un long entretien avec l'anthropologue britannique Jeremy Keenan, qui connaît bien le Mali. Selon lui, les Touaregs ne représentent qu'un tiers de la population du Nord-Mali. Il est dangereux, souligne-t-il, que dans l'information sur le Mali il soit toujours affirmé que le nord du pays est le territoire des Touaregs. L'anthropologue estime par ailleurs que les Français n'avaient d'autre choix que d'intervenir maintenant au Mali. Mais, ajoute-t-il, le succès de leur mission dépendra de la capacité des islamistes à présenter leur combat comme un "djihad" contre les puissances occidentales, en l'occurence la France. Ils pourraient alors mobiliser plus de combattants. Les rares Maliens qui se sont joints à eux jusqu'à présent l'ont fait pour gagner de l'argent. Ce n'est pas comme en Afghanistan où les taliban ont un appui dans la population.