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La violence, un phénomène global

Sabine Oelze / Cécile Leclerc15 janvier 2013

Comment les violences apparaissent-elles en ville ? Le projet de recherche franco-allemand « Violences urbaines » vise à déterminer leur origine et à les comprendre, en vue de les éviter.

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Image : picture-alliance/dpa

En cette journée d'hiver, la Potsdamer Platz au cœur de Berlin ne se présente pas sous son meilleur jour. Un vent glacial souffle dans les rues, accompagné de relents de graisse rancie. Comme lieu de rendez-vous, Teresa Koloma Beck a suggéré la sortie latérale de la station de métro Potsdamer Platz. Cette polémologue travaille depuis le 1er novembre 2012 pour le projet de recherche « Violences urbaines », mené par le Centre Marc Bloch à Berlin et le Centre interdisciplinaire d'études et de recherches en Allemagne (CIERA) à Paris, en partenariat avec d'autres instituts de recherche en Allemagne et en France. Pendant cinq ans, Teresa Koloma Beck et son homologue française Ariane Jossin vont devoir explorer les raisons qui poussent des habitants des grandes villes à devenir violents. Il s'agit ici de conflits liés à des motifs sociaux, ethniques mais aussi religieux. « Le rendez-vous sur la Potsdamer Platz peut surprendre », dit Koloma Beck. « Mais c’est dans ce haut lieu touristique qu’a eu lieu un événement tout à fait intéressant pour mes recherches. »

La Potsdamer Platz, plus qu'une attraction touristique
La Potsdamer Platz, plus qu'une attraction touristiqueImage : DW/S. Oelze

La ville comme point de convergence des conflits globaux

En mai 2012, des musulmans ont distribué gratuitement des exemplaires du Coran aux passants à un stand d'information placé sur la Potsdamer Platz. En face d'eux se trouvaient une vingtaine de manifestants, certains avec des affiches du parti nationaliste Pro-Allemagne (« Pro-Deutschland ») représentant des caricatures de Mahomet. Le stand avait été installé dans le cadre d'une campagne nationale intitulée « LIS ! » (« LIES »), initiée par le milieu salafiste en Allemagne mais à laquelle de nombreux musulmans sans opinions extrémistes ont également participé. Dans de nombreux endroits, des discussions violentes ont éclaté autour des stands d'information, les gens en sont parfois venus aux mains. Comme ce jour-là sur la Potsdamer Platz.Koloma Beck souhaite analyser en détail la perspective internationale de ces événements. Dans le cadre de la mondialisation, il est apparu que de nombreux conflits observés en milieu urbain avaient souvent des causes globales. Ces conflits se ressemblent dans la forme. Ainsi, la propension des salafistes à la violence est probablement apparue dans le sillage de la mondialisation : avec l'intensification du conflit entre l'islam et ce qu'on appelle « occident ». Seul celui qui analyse les grandes scènes conflictuelles dans leur ensemble peut comprendre la logique de ces formes de violences, affirme Koloma Beck. Elle cite comme moments-clés le 11 septembre 2001 et la guerre contre le terrorisme (« War on Terror ») qui a suivi. « La mondialisation est quelque chose qui concerne le monde entier, mais qui se déroule au final dans des lieux bien concrets », estime Koloma Beck. Même des petits incidents violents peuvent avoir une signification importante pour la société. Les violences entre musulmans et manifestants au stand d'information berlinois, de même que l'intervention de la police, ont ainsi été fortement critiquées. Après ces incidents, les uns se sentaient confortés dans leur opinion que l'islam en tant que religion génère la violence et est de ce fait inconciliable avec les principes démocratiques de l'Occident. D'autres ont vu dans ce raisonnement – tout comme dans le comportement des policiers – une preuve que la société majoritaire manque à son devoir de créer une place pour les musulmans, place à laquelle ces derniers ont droit en tant que citoyens et habitants de la ville.

Les salafistes d'Allemagne ont distribué des exemplaires du Coran aux passants lors d'une campagne nationale
Les salafistes d'Allemagne ont distribué des exemplaires du Coran aux passants lors d'une campagne nationaleImage : picture-alliance/dpa

Prise de contact

Pour l'équipe de chercheurs, il importe d'aller au fond des choses car le monde est en mutation. Qu'est-ce qui caractérise les nouvelles sociétés ? Qui laissent-elles sur le bas-côté ? L'inégale répartition des richesses, le chômage, la xénophobie sont des exemples de conséquences directes des réformes néolibérales, comme la délocalisation des emplois dans les pays à bas salaires. Ces développements exigent d'être examinés de près.

Manifestations massives et parfois violentes en Grèce contre l'austérité
Manifestations massives et parfois violentes en Grèce contre l'austéritéImage : picture alliance/dpa

Koloma Beck veut reconstruire le plus justement possible les tumultes liés à ces développements dans l'espace public. « Quand, lors d'un incident où s’affrontent des musulmans, le parti nationaliste allemand et la police, un musulman attaque un policier avec un couteau comme cela s'est passé à Bonn, il ne suffit pas de parler à l'agresseur. Il est important de s'adresser à tous les acteurs afin de comprendre quelle est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. » Ce n'est pas un travail de bureau. Koloma Beck recherche le contact avec les parties prenantes, elle souhaite les rencontrer. Elle a procédé de cette manière en Angola et au Mozambique, où elle a réalisé des entretiens avec des victimes et des auteurs de violences durant des décennies de guerres civiles.

Nouvelles voies pour la recherche

La recherche de la multiplicité des points de vue est la particularité de son projet. Pour Koloma Beck, les conflits à caractère religieux ont donc la même importance que les conflits qui résultent des développements socio-économiques mondiaux. « Qu'il s'agisse des manifestations contre les plans d'austérité à Athènes ou des excès lors des sommets du G-8, ce sont les mêmes questions qui sont traitées dans différents endroits. Ce sont des phénomènes mondiaux. » Le but des chercheurs est d'analyser cela systématiquement et de trouver les liens cachés entre ces phénomènes. « Violences urbaines » est l'un des trois projets de recherche – en plus de « Développement durable » et « L'Etat social comme défi » – qui ont pour but de favoriser l'échange franco-allemand dans le cadre de « Saisir l'Europe – le défi Europe ». Depuis vingt ans, le Centre Marc Bloch mène des recherches interdisciplinaires qui mettent l'accent sur l'histoire comparée, la politique et le droit. Mais peut-on vraiment comparer la situation en France et en Allemagne ? « En France, on étudie les conséquences de l'immigration depuis bien plus longtemps. Dans les milieux fermés des banlieues, la discrimination, l'inégalité dans la répartition des chances de réussite sont visibles depuis bien plus longtemps qu'en Allemagne », explique Gabriele Metzler, professeur à l'université Humboldt et porte-parole du projet.

Gabriele Metzler, porte-parole du projet « Saisir l'Europe »
Gabriele Metzler, porte-parole du projet « Saisir l'Europe »Image : DW/S. Oelze

Comparaison France – Allemagne

En clair, cela signifie que la marginalisation des couches de populations défavorisées a débuté en France dès les années 1960. Non seulement elles ont été rejetées de la société mais elles ont aussi souffert d'une exclusion géographique, puisqu'on a créé pour elles dans les banlieues des cités dortoirs délibérément conçues comme des ghettos. En Allemagne, il y a une mixité sociale plus forte, qui procède d'une volonté politique, ce qui ne veut cependant pas dire que cette forme d'exclusion ne s'est pas amplifiée durant les deux dernières décennies. En revanche, on ne trouve pas en Allemagne d'éruptions de violence comme elles ont pu exister dans les banlieues françaises.

Crise globale : l'Espagne en grève générale
Crise globale : l'Espagne en grève généraleImage : Reuters

Est-il possible de développer, à partir de ces recherches, des stratégies de politique urbaine contre la violence ? « On espère toujours pouvoir influencer la politique », confie Gabriele Metzler. Elle signale néanmoins que « Saisir l'Europe » n'est pas conçu comme un laboratoire d'idées. « Le but est cependant de nourrir la connaissance des acteurs de la politique de sécurité, ainsi que de développer des pistes pour une approche préventive. »