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La vie dure continue, même avec une Présidente

Wade Williams14 août 2013

La journaliste engagée Wade Williams, lauréate du Prix des médias pour le développement 2013, est allée à la rencontre de ces femmes au Liberia appelées « caillouteuses », qui cassent des pierres pour payer leurs études.

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Image : Andrew Esiebo

Mercy Womeh est assise sous un soleil brûlant près de rochers connus sous le nom de « Rock Hole ». L'endroit est situé dans la banlieue de Monrovia, la capitale du Liberia. Mercy porte un foulard sur la tête pour se protéger du soleil. Le marteau à la main, elle est prête à casser des pierres.

Mercy a 18 ans et fréquente une école de Monrovia, la J. Chauncey Goodridge School, elle est dans la septième classe. Comme beaucoup de jeunes Libériens, elle a raté une partie de sa scolarité pendant les 14 années de guerre civile qui ont ravagé le pays. Elle est encore en train de rattraper son retard.

0,47 $US par seau

Déterminée à achever ses dernières années de collège, elle casse des pierres pour payer ses frais de scolarité. Elle gagne 35 dollars libériens (0,47 $US) par seau. Les bons jours elle remplit sept seaux. Sa famille, sa mère, son père et son frère vivent dans un faubourg pauvre appellé Gbawe Town, à l'extérieur de Monrovia. Les routes sont défoncées, il n'y a pas d'électricité.

Les parents de Mercy ont quitté le comté de Nimba, à 350 km à l'intérieur des terres, il y a trois ans. Ils sont partis pour trouver du travail afin que leurs enfants puissent fréquenter une école privée. Dans un pays où le taux de chômage est de 85%, ils n'ont pas eu d'autre choix que de casser des pierres.

« Je fais ce travail parce que je n'en ai pas trouvé d'autre pour subvenir à mes besoins ». dit Mercy. « Je casse ces pierres et je les vends pour avoir de l'argent, quand j'ai l'argent, je paie mes frais de scolarité. Je garde le reste pour acheter à manger ».

Les pierres sont utilisées dans le bâtiment, un secteur en plein boom dans cet après-guerre au Liberia, mais cette croissance ne profite qu'à une minorité. Selon les perspectives économiques pour l'Afrique publiées par la Banque africaine de développement, le Liberia connaîtra cette année une croissance de 8,9%, encouragée par la hausse des cours des matières premières, en particulier le caoutchouc, l'huile de palme et les minerais. Parallèllement, beaucoup d'économies européennes sont condamnées à la stagnation, voire à la récession. Les recettes du gouvernement ont augmenté de 400%. Mais selon la Banque mondiale, huit Libériens sur dix continuent de vivre avec moins de 1,25 dollar par jour.

Mercy fait partie de ces nombreuses femmes libériennes qui vivent tout en bas de l'échelle sociale. Bien que le Liberia soit présidé par une femme, censée promouvoir les droits et le bien-être des femmes, la vie est particulièrement dure pour les femmes au Liberia.

Un féminisme timide

Musu Cole, 55 ans, travaille elle aussi à Rock Hole. Pour elle « l'autonomisation » des femmes est une formule creuse. Cela fait cinq ans que cette mère de quatre enfants casse des pierres. Son visage est ridé, elle fait beaucoup plus que son âge. Comme beaucoup de Libériennes qui ont perdu leurs maris pendant la guerre, elle est seule pour s'occuper de sa famille. Le féminisme n'a eu aucun impact significatif sur sa vie :

« C'est un travail très dur, mais nous n'avons rien d'autre à faire et personne ne nous aide, je n'ai personne pour m'aider, je n'ai pas de mari. Je vis dans une seule pièce avec mes six petits-enfants et ma vieille mère, je casse ces pierres pour donner à manger à mes enfants et les envoyer à l'école. Ce travail est trop dur, parfois vous tombez malade. »

Le prix Nobel de la paix attribué à Ellen Johnson Sirleaf a mis en évidence le fossé existant entre la perception que les Libériens ont d'elle - le mécontentement de Musu Cole n'est pas une exception - et son image à l'étranger. Mercy, de son côté, a la vie devant elle et croit que le gouvernement l'aidera à en faire quelque chose :

« Parfois j'aimerais aller au collège, arrêter de casser des pierres et faire par exemple du petite commerce, pour être autonome, je ne veux pas casser des pierres toute ma vie. Je prie Dieu pour qu'il entende mes prières et exauce mes voeux. »

Mercy n'est pas souvent allée à l'école quand elle habitait au village. Les enseignants étaient fréquemment absents. Elle aidait surtout ses parents à chasser les oiseaux de leurs cultures de riz et à battre le riz une fois qu'il était récolté. Le taux d'alphabétisation chez les femmes rurales est de tout juste 26%, contre 61% chez les femmes des villes. Pour les hommes, ruraux et citadins, il est respectivement de 60 et 86%. Ce sont les chiffres du ministère du genre et du développement. 42% des femmes ne sont jamais allées à l'école, contre 18% chez les hommes.