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"Silence, on tue", symbole de la violence dans l'est de RDC

Wendy Bashi
14 février 2024

Interview du politologue congolais Jean-Claude Mputu sur le conflit qui saigne l'est de la RDC depuis trente ans.

https://p.dw.com/p/4cNI4

Dans l'est de la République démocratique du Congo, ce lundi (12 février), au moins trois personnes ont été tuées et une dizaine d'autres blessées lorsqu'un obus est tombé dans un camp de déplacés pris dans les combats entre les forces gouvernementales et les rebelles du M23, aux abords de Sake.

Ces événements surviennent dans un contexte de tension dans la capitale congolaise où, depuis deux jours, des manifestants s'en prennent aux représentations diplomatiques pour dénoncer l'inaction occidentale face aux violences dans l’est du pays.

Le Conseil de sécurité de l'Onu a condamné lundil'offensive de la rébellion du M23 dans l'est de la République démocratique du Congo, s'inquiétant d'une escalade de la violence dans la région. Le Conseil a d'autre part répété son soutien total à la souveraineté, à l'unité et à l'intégrité territoriale de la RDC.

Nous revenons sur unconflit qui aurait fait "plusieurs millions de morts" depuis trente ans avec le politologue Jean-Claude Mputu.

Ecoutez ci-dessus l'interview avec Jean-Claude Mputu

DW : A l'heure où nous parlons, la situation reste préoccupante dans le Nord-Kivu. Un obus est tombé dans un camp de déplacés à Sake. Quel regard portez-vous sur ce qui se passe dans cette partie de la RDC en proie à l'insécurité depuis plusieurs mois ?

Jean-Claude Mputu : Un regard de tristesse et d'impuissance face à la souffrance de mes frères et de mes compatriotes dans l’est. Mais aussi un regard de colère. De la colère contre mon gouvernement qui, depuis trente ans, n'arrive pas à protéger sa propre population. De la colère contre la Monusco qui, malgré son mandat de protéger les civils, ne fait rien, et de la colère contre une communauté internationale assez passive et accommodante avec le Rwanda.
 
DW : A propos de la communauté internationale, depuis ce 12 février à Kinshasa, la population a manifesté contre les représentations diplomatiques. Elle dénonce le silence occidental face à la situation dans l'est du pays. Selon vous, est-ce la solution appropriée ? Quel rôle doit jouer le gouvernement congolais ?

Jean-Claude Mputu : La population peut manifester sans s'en prendre au corps diplomatique. Cette attitude est tout à fait condamnable, injustifiable. Je pense que ceux qui sont derrière ces manipulations se trompent de combat. Le vrai combat est celui de la réorganisation de notre armée, de nos autorités, des dirigeants capables d'unir les peuples pour mener une fois pour toute cette bataille contre le Rwanda et ses suppôts en RDC et pouvoir récupérer notre territoire occupé.
 
DW : La semaine dernière une image est devenue quasi virale sur les réseaux sociaux. On peut y voir que les membres du gouvernement ont esquissé le geste : "silence, on tue !" Ce geste a été esquissé pour la première fois par l'équipe nationale du Congo durant la Coupe d'Afrique des nations. Comment est-ce que vous analysez ce geste repris par les autorités congolaises ?

Arrivée massive des déplacés de guerre à Goma

Jean-Claude Mputu : Le gouvernement doit agir, il ne doit pas clamer son impuissance face à une situation où, chaque jour, sa population est en train d'être tuée, massacrée.
 
DW : On a quand même vu, par exemple, que desarmées étrangères ont été autorisées à venir en RDC pour prêter main forte aux FARDC.

Jean-Claude Mputu : Sur le terrain, cela fait 30 ans que notre population est massacrée quasiment tous les jours. Deux ans qu'on a mis en place un état de siège, soi-disant pour récupérer Bunagana. Bien au contraire, la situation s'est aggravée. Ces actions ne portent pas leurs fruits. J'ai du mal à comprendre que nous continuons à penser que nous n'avons aucune responsabilité dans ce qui se passe dans l’est de notre pays.
 
DW : Au niveau diplomatique, des solutions ont été proposées. Les autorités congolaises essayent de travailler...

Jean-Claude Mputu : Il n'appartient à aucune autre armée extérieure de libérer le Congo. La défense du Congo ne peut pas se reposer sur une armée étrangère. L'Ouganda fait partie du problème. L'armée ougandaise a massacré notre population. Aujourd'hui, sans aucun accord et sans aucune reconnaissance, on fait venir des Ougandais soi-disant pour nous protéger.

Dans le passé, sous l'ancien régime, on a signé des accords pour donner à l'armée rwandaise le droit d'intervenir au Congo. Il y a encore trois ans, le Rwanda était considéré comme un pays frère. Et aujourd'hui, alors que tous les jours nous accusons le Rwanda de nous agresser, nos frontières avec ce pays sont toujours ouvertes.
 
DW : Souvent, quand on parle de ce conflit, il y a un chiffre qui revient. On entend parler d'une estimation entre six millions et six millions et demi de morts qui auraient été dénombrés dans cette partie de la RDC. Est-ce que ce chiffre est bien réel ?

Jean-Claude Mputu : Je trouve cette guerre des chiffres affreuse. La réalité est qu'il y a des millions et des millions de morts dans l’est de mon pays depuis des années. Aujourd'hui, des millions et des millions de morts!
 
DW : De combien de morts est-il question, M. Mputu ?

Jean-Claude Mputu : Nous ne sommes même pas capables de connaître le nombre exact de Congolais, comment serions-nous en mesure de compter nos morts ?
 
DW : A quelques jours des élections en décembre dernier, le président Félix Tshisekedi a dit lors d'une interview qu'à la moindre escarmouche, il n'hésiterait pas à demander à la chambre basse du Parlement de pouvoir attaquer le Rwanda. Qu'est devenue cette déclaration du président Tshisekedi ?

Jean-Claude Mputu : Le porte-parole du gouvernement a dit dernièrement que les conditions pour demander la guerre n'étaient pas encore réunies parce que la nouvelle Assemblée nationale n'était pas encore mise en place. Une fois que l'assemblée sera installée, le président va honorer et réaliser sa promesse de demander la guerre contre le Rwanda parce que son pays a trop souffert.