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Un traité d'amitié entre Allemagne et France

Michael Marek / Anne-Julie Martin14 janvier 2013

En signant le traité de l'Élysée 22 janvier 1963, l'Allemagne et la France ont scellé leur réconciliation et jeté les bases de la construction européenne.

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ARCHIV - Der französische Staatspräsident Charles de Gaulle (r) und der deutsche Bundeskanzler Konrad Adenauer unterzeichnen am 22.01.2963 im Elysee-Palast in Paris den deutsch-französischen Freundschaftsvertrag. Foto: dpa (zu dpa "Deutsch-französische Freundschaft" vom 03.03.) nur s/w +++(c) dpa - Report+++
Staatspräsident Charles de Gaulle und Bundeskanzler Konrad Adenauer unterzeichnen den deutsch-französischen FreundschaftsvertragImage : picture-alliance/dpa

 « Mon cœur déborde d'émotion et mon âme est reconnaissante »déclare avec emphase Charles de Gaulle dans un allemand très maîtrisé. Le président français et le chancelier allemand Konrad Adenauer viennent de signer le traité de l'Elysée à Paris. Le général embrasse ensuite son hôte avant de lui donner une accolade enthousiaste. Abasourdi, le chancelier répond simplement : « Je n'ai rien à ajouter. »

Le « Michel allemand » et la « Marianne française »

C'était une journée d'hiver glaciale, au Palais de l'Elysée à Paris, la résidence officielle du président français. Dix-huit ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les deux voisins s'engageaient à se consulter sur toutes les questions essentielles de politique étrangère, de défense, d'éducation ainsi que dans les domaines de la jeunesse et de la culture. La mise en œuvre de ces principes serait garantie par des rencontres régulières entre les chefs de gouvernement, les ministres et les hauts fonctionnaires. Ennemis de guerre acharnés pendant des décennies, le « Michel allemand » et la « Marianne française » devenaient alors des partenaires. Tel était le message politique de Konrad Adenauer et Charles de Gaulle.

Geste d'amitié fraternelle - accolade entre Adenauer et de Gaulle
Geste d'amitié fraternelle - accolade entre Adenauer et de GaulleImage : AP

Quelques années auparavant déjà, les deux pays avaient entamé le processus de réconciliation. Le ministre français des Affaires étrangères Robert Schumann (1948-1952) et Charles de Gaulle, chef d'Etat depuis 1958, en furent les principaux instigateurs. De son côté, le chancelier Adenauer savait qu'il arrivait au terme de sa carrière politique. S'il souhaitait léguer à son successeur une politique étrangère stable, il répugnait aussi à défaire les relations que l'Allemagne entretenait avec les Etats-Unis et l'OTAN, ainsi que le lui réclamait de Gaulle.

Deux hommes d'Etat – une même vision

Mais les deux hommes avaient une vision commune: une Europe puissante devait faire son entrée sur la scène politique mondiale, non pas contre, mais indépendamment des Etats-Unis. C'est ce pour quoi chacun plaidait dans le pays de l'autre. Le chancelier allemand effectua une visite d'Etat en France du 2 au 8 juillet 1962. En se rendant avec le général de Gaulle à la cathédrale de Reims, les deux dirigeants affichèrent leurs liens personnels. Charles de Gaulle se rendit à son tour en Allemagne du 4 au 9 septembre 1962, affirmant que les deux pays étaient prêts pour la réconciliation. 

Charles de Gaulle en visite d'Etat à Bonn, acclamé par une foule d'Allemands
Charles de Gaulle en visite d'Etat à Bonn, acclamé par une foule d'AllemandsImage : picture-alliance/ dpa

A Ludwigsburg, le président français s'adressa à la jeunesse allemande : « Je vous félicite d'être de jeunes Allemands, c'est-à-dire les enfants d'un grand peuple. Un grand peuple qui parfois, au cours de son Histoire, a commis de grandes fautes. Mais un peuple qui répandit aussi de par le monde des vagues fécondes de pensée, de science, d'art, de philosophie. »

Le préambule du Bundestag

Toutefois, la décision de Charles de Gaulle de refuser l'entrée de la Grande-Bretagne dans la Communauté économique européenne (CEE), une semaine avant la signature du traité de l'Elysée, jeta un froid du côté allemand. Nombre de députés du Bundestag estimaient que l'accord était en danger, d'autant que de Gaulle pressait l'Allemagne de faire un choix : contre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne et pour la France et sa force de dissuasion nucléaire, la « force de frappe ».

La chambre basse du parlement allemand approuva néanmoins le traité à une large majorité le 16 mai 1963. Mais elle y ajouta un préambule qui fut perçu comme une critique directe de la politique gaulliste. Ce texte affirme que le traité de l'Elysée n'entrave pas la signature d'autres traités qui pourraient être passés avec d'autres pays. La République fédérale affirme son partenariat avec la France mais, dans le même temps, avec les Etats-Unis et l'Otan. Le 14 juin suivant, ce fut au tour de l'Assemblée nationale française de ratifier le traité de l'Elysée. 

La philosophie des roses

Des voix critiques s'élevèrent à l'époque, qui considéraient que les traités n'avaient que rarement des effets à long terme. Certains comparèrent cet accord à des roses car elles finissent toujours par faner. Konrad Adenauer, lui-même un cultivateur de roses passionné, rétorqua : « Mais les roses – j'en sais quelque chose désormais – sont les fleurs les plus durables dont nous disposions. » Un constat qui s'est confirmé puisque le traité de l'Elysée reste, aujourd'hui encore, un modèle de réconciliation.

Entre-temps, le partenariat s'est renforcé. Depuis 1988, plusieurs organes bilatéraux ont été créés : un Conseil de défense et de sécurité, un Conseil économique et financier ainsi qu'un Conseil de la culture et de l'environnement. Après la formation d'une brigade franco-allemande, les deux pays ont même mis en place un corps d'armée commun qui s'est par la suite développé en Corps européen (Eurocorps) en intégrant d'autres membres. Les tandems politiques successifs – Helmut Schmidt et Valéry Giscard d'Estaing, Helmut Kohl et François Mitterrand, Gerhard Schröder et Jacques Chirac – se sont appuyés sur le traité de l'Elysée pour faire de leurs pays les précurseurs de l'intégration européenne. Quant à la création de l'Office franco-allemand pour la Jeunesse le 5 juillet 1963, elle s'est révélée particulièrement féconde… l'OFAJ a déjà permis à des millions de jeunes Allemands et Français de se rencontrer et d'apprendre à se connaître.

Helmut Kohl et François Mitterand lors du 41ème sommet franco-allemand, en 1983
Helmut Kohl et François Mitterand lors du 41ème sommet franco-allemand, en 1983Image : AP